Intérêt de l’utilisation d’une stratégie mixte chez les patients souffrant de douleurs persistantes ?

Il y a quelques années, seul le modèle Biomédical était pris en compte dans la prise en charge des douleurs persistantes…
Depuis peu, avec l’avènement du modèle Bio-psycho-social, la tendance c’est complètement inversée. On trouve beaucoup d’informations et de formations 😉 sur le volet Psycho-Social qui domine largement le reste dans les contenus actuels disponibles pour les professionnels de santé sur le sujet de la douleur persistante !

Et voilà qu’en Novembre 2020, une équipe de chercheurs emmenée par Hubert Van GRIENSVEN ( et avec Aninia SCHMID elle-même en 2ème auteur…) tente de remettre l’église au centre du village avec un « point de vue » publié dans le prestigieux JOSPT intitulé « Central Sensitization in Musculoskeletal Pain : Lost in Translation ? ».

Vous êtes-vous déjà demandé comme un patient souffrant d’un problème musculo-squelettique pouvait être si douloureux avec un si faible stimulus ?
Une partie de la réponse est dans cet article et dans le résumé que l’on vous propose !

La sensibilisation centrale est un phénomène neurophysiologique adaptatif qui comprend, entre autres, des changements neurobiologiques dans les neurones de la corne dorsale de la moelle épinière. Ces changements peuvent engendrer une excitabilité accrue, une transmission synaptique renforcée et/ou une inhibition réduite du signal nociceptif.

Les auteurs nous rappellent ici que sensibilisation centrale n’est pas synonyme de prédominance de facteurs psycho-sociaux chez les patients !
Pour Van Grisenscen, les facteurs psychologiques (dépression, anxiété, kinésiophobie, etc) peuvent influencer et favoriser ce mécanisme de sensibilisation centrale par modulation descendante mais ils ne sont pas forcément présents chez tous les patients douloureux chroniques.

Pour faire simple, ces auteurs pensent que l’entrée initiale nociceptive est importante pour l’initiation et le maintien du phénomène de sensibilisation centrale. Selon eux, il existe des preuves précliniques convaincantes que la plasticité synaptique dépendante de l’activité dans la corne dorsale responsable de la sensibilisation centrale est réversible une fois que l’entrée nociceptive périphérique est supprimée. (Par exemple, la pause d’une prothèse pourrait même inverser les changements structurels du cerveau lié à la douleur)

Une phrase nous semble primordiale dans cette publication :

« Nous reconnaissons que la sensibilisation centrale peut ne pas toujours dépendre d’un facteur périphérique évident, mais nous préconisons une évaluation minutieuse des sources potentielles de nociception aux côtés des composantes psychologiques, comportementales et sociales »

Les auteurs nous proposent un exemple sur la fibromyalgie, pathologie qui est traditionnellement associée à une sensibilisation centrale, car aucun facteur patho-physiologique n’est apparent.
Dans une publication en open access de 2019, Grayston R et al nous informent qu’il y a des preuves convaincantes que la fibromyalgie est associée à une dégénérescence des petites fibres et à une hyperexcitabilité neuronale. Finalement il y a peut-être un peu de Bio dans le modèle BPS du fibromyalgique…

Enfin ils concluent que « bien qu’il s’agisse d’un domaine de développement continu, les cliniciens doivent être prêts à réévaluer leur compréhension de la sensibilisation centrale dans des conditions de douleur persistante au bénéfice des patients».

Pour, nous, la notion de spécificité dans le traitement est clairement la notion à retenir de cette publication scientifique .

Compte tenu de l’interaction complexe des mécanismes ascendants et descendants dans la sensibilisation centrale, un traitement efficace peut exiger une combinaison de stratégies.

Lorsqu’un patient présente des douleurs chroniques, il faut rechercher les différents facteurs contribuant.
Autrement dit, un patient douloureux chronique peut avoir une composante « périphérique ou nociceptive » et une composante psychologique, comportementale et sociale.
De nombreux patients sont dans cette situation, et la difficulté de la prise en charge de ces cas complexes pour les thérapeutes est la nécessité d’avoir plusieurs cordes à son arc pour répondre de MANIERE SPECIFIQUE à la demande de chaque composante.

Alors oui, nous osons le dire, même chez un patient présentant des douleurs persistantes, un examen clinique du versant Bio peut avoir du sens pour s’interroger sur la présence ou non d’un stimulus nociceptif prolongé ppotentiellement facteur favorisant des modifications physiologiques périphériques pouvant entrainer un syndrome de sensibilisation centrale.

En conclusion, soyez empathique, rendez vos patients acteurs de leurs traitements mais surtout évaluez vos patients avec précision pour être spécifique aux besoins de chacun.

Pour en savoir plus :

– sur les mécanismes de la douleur, retrouvez Pierre FISETTE pour la formation « Comprendre la douleur ? Facile ! » à Aix les bains les 25 et 26 février 2021.

– sur la notion de spécificité et de raisonnement clinique, retrouvez Francois ANGELLIAUME et Romain ARTICO pour la formation « Raisonner pour mieux traiter » les 26 et 27 Novembre 2021 à Aix les Bains.

– sur l’excellent film de Sofia COPPOLA « Lost in Translation » c’est par ici 😉.